Suite au choc généré par l'annonce officielle et le dévoilement de la construction d’un colisée romain dans l’enceinte du Rova d’ Antananarivo, nous, Association des Professionnels de l’Urbain de Madagascar – APUM , sommes dans le devoir d’apporter nos humbles réflexions et propositions afin de réduire dans les tensions actuelles et sauver ce qui peut encore l’être.
La
bonne nouvelle c’est que l'intérêt des Malagasy pour son patrimoine identitaire est bien réel
Les
réactions multiples prouvent d’emblée l’attachement particulier des malagasy au
Rova d’Antananarivo. Il est un symbole identitaire unique autant pour la ville
d’Antananarivo que pour toute la population malagasy. La proportion des
réactions publiques équivaut à la valeur inestimable attribuée à ces lieux,
en témoignent les dizaines de milliers de signatures récoltées dans la
pétition lancé par “Mpiaro ny vakoka” (protecteurs du patrimoine).
Par ailleurs, une série de mesures de protection du patrimoine ont été prises par les gouvernements successifs, notamment à travers l’ordonnance 82.029 relative à la protection, la sauvegarde et la conservation du patrimoine national. Les travaux sur ces sites et alentours requièrent l’avis de son Ministère de tutelle. Le plateau du Rova est inscrit sur la liste du patrimoine national de Madagascar. La ville d’Antananarivo a également créé l’arrêté municipal N° 515 - CUA / DS / DPDU / SPF 09 portant création et préservation du Secteur Sauvegardé et de la Zone de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et Paysager (ZPPAUP).Cette règlementation inventorie entre autre les bâtiments d’habitations traditionnelles, les arcades de l’avenue de l’Indépendance, la Gare Soarano, le palais d’Ambohitsirohitra, etc dans la ville d’Antananarivo, qui sont ainsi soumis à des prescriptions d’urbanisme. Ainsi, leur démolition ou tous travaux, partiels, total, intérieur, extérieur doit obtenir l’autorisation de la CUA. Le Rova d’Antananarivo est également circonscrit dans le Secteur Sauvegardé de la ville d’Antananarivo. Selon la Loi n° 2015- 052 relative à l’Urbanisme et à l’Habitat, Quiconque désire entreprendre une construction, doit, au préalable, obtenir un permis de construire. Cette obligation s’impose aux services publics et concessionnaires de services publics, comme aux personnes privées.
Dans la pratique, ces différentes réglementations de sauvegarde du patrimoine seules ne sont pas suffisantes
…parce qu’on détruit le patrimoine depuis des années
Les
destructions de notre patrimoine dans le Rova d’Antananarivo se sont succédées
si l’on ne considère que l’incendie du 6 novembre 1995, et aujourd’hui ce
colisée ? Ce n’est qu’en 2005, avec le premier Comité National du
Patrimoine et l’Association Fanarenana ny Rova que le premier projet de
résurrection du Rova débute. Si cet emplacement était prévu pour le palais
Masoandro, comment sommes-nous arrivés à y retrouver un colisée? De par sa
symbolique, son histoire et sa fonction, le colisée n’a aucun li avec la
culture malagasy et surtout aucun avec Anatirova où des tombeaux, l’église et
les palais se côtoient. Au- delà des édifices proprement dits, l’organisation
du site Rovan’Antananarivo, le paysage de la haute ville ainsi que le
patrimoine végétal et d’autre sites inscrits sont des atouts à préserver et
valoriser.
Mais la
Haute ville fait face à d’autres menaces. Depuis 2015 particulièrement, les
glissements de terrain sont devenus récurrents, causant le décès de
plusieurs personnes chaque année. La prolifération des constructions illicites
et la surcharge de la colline portent atteinte à la fois au paysage urbain mais
surtout à la sécurité des habitants, potentiels victimes d'éboulement. Les mesures prises dans l’Arrêté
n°4332/2018-M2PATE/DGATE/DVPT portant interdiction de la délivrance
d’autorisation d’urbanisme dans les différentes zones formées par les parties
collinaire de la Haute Ville d’Antananarivo devaient ainsi permettre de
contenir ces problèmes. Aucun permis de construire ne devait être délivré depuis
février 2018 dans cette zone de la ville.
…parce qu’on n’a pas respecté les règles établis par nous-
même.
Le Rova
d’Antananarivo fait-il exception ? Le projet de création du
« Lapa Masoandro » a-t-il respecté les différentes procédures d’autorisations requises .La mise en place d’un « Comité
Scientifique” permet –il
de déroger au respect des réglementations ? Par ailleurs, les professionnels de
l’architecture, urbanisme et construction ont –ils fait partie de ce
comité ?
En janvier 2019, l’allocution du Président de la République de Madagascar annonçait la reprise des travaux du Rova d’Antananarivo. Les intentions déclarées étaient de faire revivre ces lieux historiques, permettre aux scientifiques et techniciens malagasy de contribuer à nouveau dans cette entreprise ambitieuse. Mais surtout, la célébration de la 60ème année d’Indépendance de Madagascar dans l’enceinte du palais lui ajoutera une nouvelle symbolique contemporaine. Tout ceci, encore réaffirmé le 11 avril 2019, lors d’une grande cérémonie d’inauguration des travaux avec l’érection du pilier bois de Besakana.
…parce qu’on a oublié de consulter l’avis de la population, supposés
bénéficiaires du
projet ?
L'Histoire et le patrimoine sont habilement mélangés dans les discours pour répondre à des questions qui n'ont pas été préalablement posées aux travaux de construction, sur un site hautement sensible dans le
cœur des malagasy. Si l’on souhaite ériger un « futur » patrimoine,
il aurait fallu établir de manière concertée tout le corpus patrimonial qui fera de ce projet un patrimoine pour les générations
futures. Parmi lesquels une reconnaissance de cette construction à travers des
valeurs de remémoration, historique, sociale et autres. On reconnait les
valeurs d’art et d’histoire souhaité par le Président de la République, mais la
réponse de construction d’un colisée est- elle la bonne ? Acceptons – nous
d’édifier de nouveau bâti dans l’enceinte du Rovan’Antananarivo ? Si oui,
quelle expression
architecturale lui serait
attribuée ? Autant de questions non posées. Sans juger la pertinence des objectifs affichés
par le projet, la réponse infrastructure est- elle toujours systématique ? Ce projet hautement symbolique aura
été une opportunité formidable pour lancer un concours publics ayant permis aux
professionnels malagasy d’y exprimer tout son talent et son savoir- faire.
…parce que la communication est –elle voilée ou insuffisante ?
Aussi bien
dans l’annonce du projet que dans sa gestion, le peu d’information officielle
touchant un chantier aussi crucial renforce les suspicions concernant le
contenu, les objectifs réels, les financements et la légitimité des choix
d’aménagement. Il s’agissait et s’agit toujours d’une opportunité de faire un
projet exemplaire en terme d’urbanisme patrimonial : qui sont les techniciens
dans le comité ? Quelles ont été le contenu des études préliminaires ?
quelles ont été les consultations faites ? les règles d’évacuation et de
sécurité contre les incendies ont-elles été renforcées étant donné l’historique
des incendies ? … Les communications attendues devraient rassurer que notre
Patrimoine est en sécurité et bien gérer. A titre d’exmple, dans la procédure de
passation des marchés publics, l’avis d’appel d’offres ouvert
n°034-AOO/PRM/SG/PRMP/UGPM-2019 paru dans le journal Midi Madagascar le 27 Août
2019 fait a uniquement mention de la “reconstruction de deux palais dans le
Rova de Manjakamiadana répartie en deux lots : lot 1 : Palais Tranovola, lot 2:
Manampisoa”. L’étonnement général actuel résulte alors de la construction d’un
Kianja Masoandro, dont le lancement des études et des travaux de construction
ne semblaient pas être paru dans les journaux.
La réaction
publique sur ce projet sous-tend également la question sur la nécessité d’une
communication transparence sur l’utilisation des deniers publics et la
priorisation des dépenses.
Pour
l’avenir de ce site, quel choix opérer maintenant?
Option A : Arrêter immédiatement
les travaux et rattraper la réflexion collective sur le vrai sens de
l’intervention dans le Rova d’Antananarivo et envisager la démolition si nécessaire
Un arrêt du
chantier pourrait calmer l’opinion publique. Les acteurs du projet de
“réhabilitation du Rova d’Antananarivo” et la population pourraient profiter de ce répit afin de
revoir les possibilités qui s’offrent à eux. Un travail de réflexion pourrait
être mené pour répondre aux questions de la
mémoire collective du lieu à préserver, la transmission aux générations futures
malagasy de l’histoire et le meilleur moyen d’y arriver. Il conviendrait de définir et préciser la
politique du patrimoine à Madagascar, qui guidera les futures
interventions et surtout capitaliser et valoriser les outils encore
insuffisants pour la protection du patrimoine si tel est notre objectif.
Ces questionnements de fond pourraient amener les porteurs d’enjeux à envisager la démolition totale ou partielle des structures actuelles du colisée, et à repenser la nécessité voire annuler l'érection du mat métallique surmonté d'une croix qui est également visible sur les visuels présentant le colisée. Une approche plus
participative tel un appel à manifestation d’intérêt ou de concours publics
pourrait à la fois relancer l’intérêt du plus grand nombre, permettre une
appropriation collective du projet, mais aussi démontrer la bonne foi des
porteurs du projet de réhabilitation.
Option B : Poursuivre
la construction du colisée et avancer dans un
projet considéré comme « patrimonial »
et rejeté par sa
propre population.
La poursuite
de la construction irait dans un premier temps à l’encontre de l’avis des 11000
de personnes à ce jour ayant pu s’exprimer et signer la pétition réclamant la
démolition du colisée. Cet avis défavorable peut être une autre source de
tension pour le pays et ainsi déstabiliser une situation sociale déjà fragile.
L’argument
d’une perte économique pourrait être avancé car le processus de travaux est déjà en cours. Et on
revient à la question des choix, sommes – nous capables d’apprendre de nos erreurs
et réparer ou faisons-nous le
choix de persister au détriment des valeurs patrimoniaux soutenus par les
appels au secours déjà lancés par la population ?
Et
pour la suite, une vraie politique patrimoniale à Madagascar
Un
patrimoine inscrit sur la liste du patrimoine de l’humanité (UNESCO) permet d'accroître la visibilité d’un site et l’attractivité d’un territoire, et ce au
bénéficie d’un développement économique et touristique plus important, mais
aussi d’un accès à des réseaux d’experts et d’aides internationales soutenant
sa préservation avec la mise en œuvre de son plan de gestion durable. Le
processus est porté par l’Etat et la première étape nationale étant
l’établissement d’une liste indicative par le pays, ce qui a été réalisé pour
la Haute Ville. Il s’agit d’une démarche volontaire d’un Etat qui oriente sa politique
de gestion du patrimoine culturel dans ce sens. Le manque d’intégration
architecturale des nouvelles constructions (habitations, antennes
téléphoniques, bâtiment administratif, etc.) et les constructions illicites sont
déjà des éléments lésant le potentiel de la Haute Ville pour sa démarche
d’inscription, sans oublier la sécurité des habitants. Il serait judicieux
d’être en cohérence avec les différentes actions pour soutenir une démarche
déjà engagée par le gouvernement malagasy.
Ceci étant,
la protection du patrimoine ne nécessite pas toujours de figer le bâti, les
études sélectives peuvent aussi être faite grâce à des experts compétents
(archéologue, architecte, historien, géographe, urbaniste, etc.). Pour l’instant, la politique de
sauvegarde du patrimoine requiert encore des mesures supplémentaires : les
inventaires restent à faire, les projets de réhabilitation à financer, les lois
à appliquer et l’avis de la population à considérer... Mais cet élan d’intérêt
pour le patrimoine reste une opportunité à soutenir pour raviver la question
car la crise du patrimoine dépasse le Rova d’Antananarivo, la liste des
patrimoines à protéger est encore longue et l’opportunité de valorisation
touristique inestimable.
Quoi qu’il
en soit, l’accès au site reste interdit au public étant donné le contexte de crise
sanitaire liée au COVID-19. Le tourisme en est déjà la première victime, et la
possibilité d’y tenir les célébrations des 60 ans de l’Indépendance de
Madagascar en sera aussi réduite face à la crise sanitaire mondiale. C’est un une
opportunité pour chacun de repenser son rapport au Patrimoine, à l’Histoire, et surtout aux valeurs que nous léguerons aux générations
futures.
APUM
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